Les rapports du vent et du souffle mériteraient une longue étude. On y retrouverait cette physiologie aérienne si importante dans la pensée indienne. Les exercices respiratoires y prennent, comme on le sait, une valeur morale. Ils sont de véritables rites qui mettent en relation l’homme et l’univers. Le vent, pour le monde, le souffle, pour l’homme, manifestent « l’expansion des choses infinies ». Ils emportent au loin l’être intime et le font participer à toutes les forces de l’univers. Dans La Chandoya-Upanishad, on lit : « Quand le feu s’en va il s’en va dans le vent. Quand le soleil s’en va, il s’en va dans le vent. Quand la lune s’en va, elle s’en va dans le vent. Ainsi le vent absorbe toutes choses… Quand l’homme dort, sa voix s’en va dans le souffle, et ainsi font sa vue, son ouïe, sa pensée. Ainsi, le souffle absorbe tout. »

C’est en vivant intimement ce rapprochement du souffle et du vent qu’on prépare vraiment les synthèses salutaires de la gymnastique respiratoire. Une appréciation sur l’agrandissement de la cage thoracique n’est que le signe d’une hygiène sans profondeur intime, d’une hygiène qui se prive de son action éminemment salutaire sur la vie inconsciente. Le caractère cosmique de la respiration est la base normale des valorisations [270] inconscientes les plus stables. L’être a tout à gagner à maintenir les participations cosmiques.

Il serait d’ailleurs intéressant de suivre en détail les synthèses imaginaires des pratiques de la psychologie respiratoire et des pratiques de la psychologie ascensionnelle. Par exemple, la hauteur, la lumière, le souffle dans l’air pur peuvent être dynamiquement associés par l’imagination. Monter en respirant mieux, respirer directement non seulement de l’air, mais de la lumière, participer au souffle des sommets, ce sont là des impressions et des images qui échangent sans fin leur valeur et qui se soutiennent l’une l’autre. Un alchimiste parlera en ces termes de l’or astral : « C’est une substance ignée et une continuelle émanation de corpuscules solaires, qui par le mouvement du soleil et des astres, étant dans un perpétuel flux et reflux, remplissent tout l’univers ; tout en est pénétré dans l’étendue des cieux, sur la terre et dans ses entrailles. Nous respirons continuellement cet or astral ; ses particules solaires pénètrent nos corps et s’en exhalent sans cesse 1. » Les souffles balsamiques, les vents parfumés vivent dans de telles images. Ces images se forment dans la rêverie d’un vent ensoleillé.

Sur les synthèses du souffle, de la hauteur, de la lumière, on trouvera de précieuses remarques dans les travaux et dans la thèse d’un jeune médecin 2. Une psychologie complète de l’air devrait examiner en détail tous ces travaux. Nous n’avons à traiter que de l’imagination de l’air, et même nous voulons nous borner à l’étude des métaphores littéraires de l’air. Il nous suffit d’indiquer que ces métaphores ont une racine profonde dans la vie matérielle. À l’air, à la hauteur, à la lumière, au vent puissant et doux, au souffle pur et fort, s’associent normalement des métaphores poétiques bien faites. Une telle synthèse anime l’être entier. Nous allons insister un peu, dans le chapitre suivant, sur cet aspect de l’imagination de l’air.

Chapitre XI. Le Vent [256] dans L’air et les songes. Essai sur l’imagination du mouvement Gaston Bachelard (1943)

1 Entretiens d’Eudoxe et de Pyrophile. Apud Bibliothèque des philosophes chimiques, nouvelle édition, Paris, 1741, t. III, p. 231.

2 Francis Lefébure, La respiration rythmique et la concentration mentale en éducation physique, en thérapeutique et en psychiatrie, Alger, 1942.